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Les fromages les plus renommés du sud-est de la France sont de tradition caprine, à l’image du banon des Alpes-de-Haute-Provence, premier fromage de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à avoir obtenu une Appellation d’origine contrôlée (AOC) en 2003. Entre le mont Ventoux et la montagne de Lure, découverte d’une spécialité mêlant règne animal et règne végétal.
De la ferme au marché
Le banon, un fromage au lait cru et entier de chèvre, tient son nom du village perché de Banon qui abritait autrefois un marché réputé, au croisement de voies de communication importantes. C'est là, dans un territoire de moyenne montagne aride et propice à l'élevage de petits ruminants, que grandit progressivement la réputation de cette spécialité avant tout domestique : dans les petites fermes polyculturales de Banon, de Forcalquier ou d'autres villages, les paysans produisaient des fromages pour leur consommation familiale et vendaient les éventuels surplus sur les foires et marchés bas-alpins.
À la fin du XIXe siècle, le cuisinier méridional Marius Morard, dans l’un des grands livres de recettes jalonnant l’histoire de la cuisine provençale [1], évoquait un renommé « fromage de Banon » qu’il estimait de « qualité supérieure ». Celui-ci était alors élaboré, précisait-il, avec du lait de chèvre éventuellement coupé pour moitié de lait de brebis, et « plié dans la feuille de vigne ».
Vers une homogénéisation des techniques de fabrication
Car le banon, aujourd’hui connu pour son goût caprin et son habit de feuilles de châtaignier, fit longtemps l’objet de variantes. Dans l’entre-deux-guerres, Curnonsky, célèbre auteur gastronome, mentionnait encore un fromage de brebis. Quant aux feuilles, elles pouvaient être de vigne, comme l’écrivait Morard, mais aussi de platane, noyer, marronnier, cerisier… La plantation de châtaigniers dans le canton de Banon remonte en effet à la seconde moitié du XIXe siècle, avec pour objectif de nourrir le bétail et plus particulièrement les porcs [2].
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le banon, désormais produit avant tout pour la vente, devint le fromage tel qu’il est désormais protégé par une AOP [3]. Le lait de chèvre, la « vache du pauvre », finit par régner sans partage, et la feuille de châtaignier, bien adaptée au pliage et appréciée pour le goût qu’elle donne au fromage, s’imposa.
Une transformation fromagère originale
· Un caillé doux
Le lait cru est additionné de présure*, qui active la coagulation beaucoup plus rapidement qu’avec des ferments lactiques seuls. On parle de « caillé doux » ou « caillé présure », une technique traditionnelle du Midi. Plus difficile à réussir que celle du « caillé lactique » ou « caillé acide », elle permettait jadis d’éviter que le lait tourne à cause de la chaleur. Moins de deux heures après l’emprésurage, les fromages sont égouttés et moulés à la main, et d’abord affinés « nus » pendant 5 à 10 jours.
· Un fromage « plié »
Après avoir été éventuellement trempés dans de l’eau-de-vie de vin ou du marc de raisin, ils sont enveloppés dans des feuilles de châtaignier ramassées à l’automne. Celles-ci sont réhydratées puis liées avec du raphia : c’est le fameux pliage, qui avait pour but de prolonger la conservation des fromages en les maintenant moelleux, notamment pendant la période de tarissement du lait en hiver, tout en enrichissant leur goût. Cette seconde phase d’affinage dure au moins 10 jours. La pâte du banon devient alors onctueuse voire coulante, mordorée, avec des arômes boisés et des notes spécifiques liées à la migration des tanins des feuilles dans la pâte.
Un gros fabricant domine aujourd’hui le marché. Si vous le pouvez, n’hésitez pas à chercher les producteurs fermiers directement en Haute-Provence.
* La présure est une enzyme naturelle qui permet de faire coaguler le lait pour en faire du fromage. Elle est extraite du suc gastrique de la quatrième poche de l’estomac (la caillette) de jeunes ruminants, abattus avant leur sevrage.
[1] Marius Morard, Les Secrets de la cuisine dévoilés. 1ère partie : cuisine exclusivement provençale, Impr. Achard, 1886.
[2] Élise Bain, Le châtaignier dans le canton de Banon, Musée Départemental Ethnologique de Haute Provence, Prieuré de Salagon, 2005.
[3] Appellation d’origine protégée, c’est-à-dire la transposition européenne de l’AOC.